Pieter LAGROU - ULB


Pieter LAGROU - ULB, Faculté de Philosophie et Sciences Sociales le 12 Mars 2024

José Gotovitch a choisi de nous quitter le 17 février dernier, au bout d’une longue maladie. José a étudié l’histoire à l’Université Libre de Bruxelles de 1957 à 1961. De 1967 à 1988 il fut assistant chargé d’exercices et anima le séminaire de recherche en histoire contemporaine. De 1988 à 2005, l’année où il prit sa retraite, il a, pendant 17 ans, enseigné le grand cours d’histoire contemporaine en première candidature, les lundis de 17h00 à 19h00 et les vendredis de 8h00 à 10h00. Ce cours qu’il a donné avec passion et avec un talent oratoire exceptionnel a marqué des générations d’étudiants de l’ULB, qui en témoignent encore. Pour José, ce grand cours fut « le bonheur de ma vie », « ma respiration ». Aussi à l’ULB il fonda, avec Anne Morelli, en l’année fatidique 1989, le Groupe de Recherche d’Histoire et de Sociologie du communisme, devenu ensuite le Centre d’Histoire des Gauches.
La passion avec laquelle José s’est investi dans ses missions à l’ULB et la profonde affection qu’il a toujours témoignée envers l’université ne fut que partiellement réciproque. L’horaire peu sympathique de son grand cours au Janson s’explique par le fait que juste avant et juste après il avait un autre métier à temps plein qui lui permettait de vivre et d’élever, seul, ses deux enfants.
Les centaines d’examens oraux, il les organisait pendant ses congés annuels.

 

Sa carrière scientifique, il l’a menée au Centre National d’Histoire des Deux Guerres Mondiales qu’il a contribué à fonder, puis dirigé et transformé en Centre d’Études Guerres et Sociétés Contemporaines. Il n’y a aucune exagération à dire que José Gotovitch a été le fondateur d’une historiographie critique et scientifique de la deuxième guerre mondiale en Belgique, par son travail pionnier au sein du Centre et par deux monographies. L’an ’40, co-écrit avec Jules Gérard-Libois, fut publié en 1971. Du Rouge au Tricolore, publié en 1992 fut issue de sa thèse de doctorat, soutenue en 1988 sur la résistance communiste. L’an ’40, avec plus de 25.000 exemplaires, est le livre d’histoire belge le plus vendu de tous les temps. Sa publication a propulsé José Gotovitch sur la scène publique et sur la chaîne publique unique à l’époque, d’ailleurs. José fut une figure publique et un intellectuel public, chose assez rare dans ce pays.

 

Le parti communiste belge était l’autre grande passion de sa vie, comme membre, secrétaire national des étudiants communistes et rédacteur des pages culturelles du Drapeau Rouge. Il fut du voyage à Moscou en 1957 pour le Festival Mondial de la Jeunesse e se rendit en 1960 à Cuba. José est resté loyal à l’engagement communiste et à toutes les générations de militants d’une façon absolument admirable. En 1936, de retour d’un voyage en Union Soviétique, André Gide avait écrit : « Sur l’Union soviétique tant de vérités sont dites avec haine et tant de mensonges avec amour. » Ce qui n’est pas moins vrai pour près d’un siècle d’historiographie du communisme.
José, par tout son oeuvre, a réussi à dire des vérités avec autant de distance critique que de loyauté affective.
Être communiste en pleine Guerre Froide a confronté José Gotovitch à un Maccarthisme bien belge. Ainsi fut il révoqué de sa fonction de dactylographe de l’État-Major de l’Armée Belge en Allemagne lors de son service militaire, chargé de retranscrire les plan d’offensive de l’OTAN en cas de guerre. Mais l’Armée belge et ses services de renseignement avaient tout de même mis quelques mois avant de s’en rendre compte. Beaucoup plus grave fut la tentative des milieux anticommunistes de le faire renvoyer du Centre, fraîchement nommé en 1964, d’où il fut sauvé par l’intervention du ministre socialiste Pierre Vermeylen.

 

Voilà tout le paradoxe Gotovitch : aucun enseignant en histoire a autant marqué ses étudiants ; aucun historien a autant marqué l’historiographie belge du vingtième siècle ni connu un telle notoriété publique. Et pourtant il avait des raisons objectives de se percevoir, toujours, comme un marginal : un communiste qui suscite la méfiance et un chargé d’exercice et professeur à qui l’ULB n’a jamais voulu donner un temps plein. C’est pourtant une vraie question aujourd’hui de savoir si José Gotovitch aurait réalisé une telle oeuvre s’il avait été professeur à temps plein à l’ULB.
Militant assumant ses choix, avec toujours un pied dans et un pied en dehors de l’establishment, c’est ainsi que se voyait José Gotovitch.
Cet épisode où, le 3 septembre 1942, à l’âge de deux ans, il a échappé par les toits à la rafle des Marolles dans les bras de sa mère servait pour lui à illustrer la solidarité de la classe ouvrière belge qui leur a ouvert la fenêtre. Cela faisait de lui un ket des Marolles et pas un enfant caché, étiquette qu’il a toujours refusé.

José, c’était aussi l’ami généreux et fidèle qui avait ce talent de rendre les sujets les plus graves infiniment drôles. Jusqu’à la fin de sa vie, découragé par la disparition de sa compagne Emy et par la maladie, il suffisait de lui apporter un document d’archive au chevet de son lit d’hôpital pour que ces étincelles moqueuses s’allument dans ses yeux et que démarre son intelligence espiègle et son humanité inépuisable.
José nous laisse en héritage le défi de réinventer sans cesse notre engagement politique et intellectuel sans que l’un ne cède rien à l’autre. C’est un sacré défi, mais nous avons son exemple pour ne jamais céder au cynisme, au découragement et au désenchantement. Merci José. Tu laisses un vide béant. Tu nous manques déjà.

(voir aussi https://www.journalbelgianhistory.be/nl/journal/belgisch-tijdschrift-voor-nieuwstegeschiedenis-xlix-2019-2-3/jos-gotovitch-5o-ans-au-coeur)