Construction et déconstruction d’un culte : le cas Edgar Lalmand, secrétaire général du P.C.B.

Construction et déconstruction d’un culte : le cas Edgar Lalmand, secrétaire général du Parti communiste de Belgique.
par José Gotovitch

Cette étude a paru en anglais : « Construction and déconstruction of a cult : Edgar Lalmand and the Communist Party of Belgium » in Twentieth Century Communism, 1, p. 129-152, 2009, « Communism and the leader cult »

En décembre 1954, au terme d’un congrès d’une rare densité, le Parti communiste de Belgique éliminait l’équipe dirigeante installée au pouvoir depuis 1943. Symbole de la direction écartée, le Secrétaire Général Edgar Lalmand concentrait sur sa personne l’essentiel des critiques, mais le culte de sa personnalité n’était pas seul en cause : l’ensemble du Secrétariat et le Bureau Politique élu au congrès précédent disparaissait. Or il ne s’était agi ni d’une révolution de palais ni d’un procès de Moscou à Bruxelles : depuis des mois l’ensemble du Parti était secoué par des discussions véhémentes. Les bouches s’étaient ouvertes à l’appel d’un comité central qui avait lui-même lancé le mouvement en mai de la même année.

Dans la mémoire communiste belge, le Congrès de Vilvorde allait demeurer le congrès du grand tournant, du retour aux réalités nationales, du rejet du sectarisme et de l’autoritarisme. Cet ancrage national s’avérait d’autant plus évident que le virage avait été négocié à l’encontre des représentants du Kominform, et particulièrement d’Etienne Fajon, tuteur désigné du PCB pour compte des "instances internationales". Tournant radical, mais dans le contexte de l’époque, sans modification aucune du rapport de fidélité inconditionnelle à l’Union Soviétique.

Il n’empêche que le PCB éliminait ainsi par un vaste mouvement appuyé sur la base une direction mise en place et constamment appuyée par les instances internationales, avec à sa tête un homme qui avait, à sa mesure et à celle du parti belge, endossé les attitudes et rites attachés à l’exercice du pouvoir suprême dans les PC. A l’inverse des dirigeants voisins (Thorez, Togliatti, Politt, le luxembourgeois Urbany ou encore le néerlandais De Groot), Lalmand et son équipe, membres du parti avant 1940, n’y avaient pas joué le premier rôle.

Il est donc intéressant d’examiner comment a pu se construire le culte autour de personnalités d’émergence récente, donc démunies du passé particulièrement valorisant dans l’imaginaire communiste, de la construction du parti, des périodes clés de la lutte classe contre classe ou à l’inverse, de celle du VIIe Congrès de l’IC. De même, du point de vue de l’histoire interne, cette équipe, et le secrétaire général en particulier, n’avait connu ni les écoles, ni les Congrès de l’IC, ni mené de délégations à l’une ou l’autre occasion dans le pays du socialisme.

Nous nous proposons donc d’examiner les conditions et les formes d’accession et d’exercice du pouvoir de l’équipe Lalmand, puis de son élimination, en identifiant au préalable le modus operandi de ses prédécesseurs. Quel profil présentaient les dirigeants du PCB depuis sa fondation, comment avaient-ils été choisis ...et éliminés. Quels furent les rapports avec l’IC et le PCUS dans l’exercice du pouvoir. A quel moment et sous quelles formes s’établirent les rites cultuels. Dans quelle mesure furent-ils une manifestation spécifique du processus de stalinisation. Il faudra s’interroger sur l’incidence de la disparition de Staline sur l’élimination de celui qui en tenait lieu en Belgique alors même que ses modèles subsistaient à la tête des partis français, italien, luxembourgeois, néerlandais...

Soulignons cependant que nous n’évoquons ci-après les politiques menées qu’en fonction des nécessités d’éclairer les hommes et les processus de pouvoir.

 

 
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