Le Comité mondial des Femmes contre la Guerre et le Fascisme (CMF)

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Portrait de Marcelle Leroy, Fonds personnel de José Gotovitch.

La section belge du Comité Mondial des Femmes contre la Guerre et le Fascisme (CMF) naît dans le sillage de la Conférence mondiale des femmes contre la guerre et le fascisme organisée en 1934 à Paris par le mouvement « Amsterdam-Pleyel », que président Romain Rolland et Henri Barbusse. Plusieurs Belges participent à son comité d’initiative, qui témoignent de la résonance prise par le pacifisme et l’antifascisme dans les mouvements socialiste, communiste et féministe. Outre la présence de dirigeantes du mouvement féminin socialiste (Alice Pels, Isabelle Blume et Hélène Burniaux), la communiste Marcelle Leroy y joue un rôle moteur. Mais la personnalité sans doute la plus emblématique est Germaine Hannevart qui symbolise l’adhésion au mouvement d’une nébuleuse à la fois féministe, pacifiste et laïque dont le point d’ancrage est l’enseignement. Constituée en 1934, la section belge du CMF est présidée par Lucia de Brouckère. Mais c’est surtout la secrétaire Marcelle Leroy qui en devient la cheville ouvrière, à qui succède Emilienne Steux-Brunfaut. Se retrouvent côte à côte dans ses rangs : des pionnières de la paix (Antonia Nyssens-van Dreveldt, Léonie La Fontaine), de nombreuses femmes socialistes et communistes, mais aussi des libérales (Georgette Ciselet, Gabrielle Rosy-Warnant) et des laïques non affiliées à un parti (Germaine Hannevart). Elle ne parviendra jamais à se rallier des femmes catholiques.

La jeune association s’illustre dès lors dans différents combats, féministe, pacifiste et antifasciste. Elle participe notamment à l’action commune des organisations féministes contre la proposition de loi Rutten (1934) et les mesures du gouvernement pour limiter le travail des femmes. En 1935, elle organise une journée internationale des femmes de l’enseignement. La même année s’ébauchent dans plusieurs pays des accords de Front populaire. La section belge du CMF s’inscrit dans cette perspective et se retrouve, sociologiquement comme politiquement, aux côtés du Comité de Vigilance des Intellectuels antifascistes. La fascination pour l’expérience soviétique est palpable, et se concrétise en 1935 et 1936 par l’envoi de deux délégations en URSS qui rendent compte à leur retour de la situation de la femme et de l’enfant soviétiques. Mais c’est surtout la solidarité avec l’Espagne républicaine qui demeure jusqu’en 1939 sa préoccupation centrale. Elle organise la récolte et la confection de produits de première nécessité, la prise en charge d’un home pour enfants en Espagne, l’organisation de l’accueil d’enfants réfugiés en Belgique. Le CMF se mobilise en outre pour le sauvetage de Liselotte Herman, condamnée à mort par les nazis, et participe à la constitution de la section belge du Rassemblement universel pour la paix.

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Séance commémorative consacrée à la mémoire de Liselotte Hermann à la Brasserie Flamande (Bruxelles) avec M. Rommens et Mmes Léa Gillis, Isabelle Blume, Hannevart, Louise Brunfaut, Alice Adère-Degeer, 08/07/1938. © CArCoB, PHO 0896.

La jeune association s’ancre dans différents milieux. En 1938, elle revendique 2.000 membres (700 à Bruxelles, 300 à Liège, 500 dans diverses villes de Wallonie ; 500 à Anvers, Gand, Malines). Mais seules les sections de Bruxelles, Liège et du Brabant Wallon fonctionnent réellement. Dans la capitale, le local de l’association, rue des 4 Fils Aymon est également un restaurant végétarien. Elle recrute principalement ses membres auprès de la bourgeoisie intellectuelle laïque de gauche, surtout parmi les enseignantes, les médecins, les infirmières et auxiliaires sociales, les employées... Dans ce milieu sélectif, elle profite d’un rayonnement réel, comme en attestent les signatures relevées dans sa revue Femmes dans l’action mondiale qui paraît dès 1935 (dont l’homologue flamand est Vrouwen) : outre les femmes déjà citées, on y retrouve Marie Spaak, Marie Delcourt, Esther Chalmers, Henri Rolin, la conseillère libérale Rosy-Warnant, Édith Buch, Pierre Hubermont, alors au Peuple comme Gaston Thuns, les docteurs René Sand, Majmin, Terwagne, ou encore Constant Burniaux, Jean Tousseul, Émilie Noulet...

L’une des spécificités les plus remarquables de la section belge du CMF est son caractère foncièrement laïque. Surtout à Bruxelles, il forme un lieu exceptionnel d’osmose ou de capillarité entre parti communiste et franc-maçonnerie, essentiellement le Droit humain. Il opère la rencontre avec des femmes communistes fréquemment contraintes à la semi-clandestinité politique par leur fonction d’enseignante, d’avocate ou de fonctionnaire. Des réseaux comme ceux des écoles de la Ville de Bruxelles sont un vecteur privilégié d’attraction réciproque. Dignitaire maçonnique, de plus en plus engagée à gauche, Germaine Hannevart fait du lycée Émile Jacqmain, lieu élitiste social par excellence, un foyer de militance efficace pour toutes les causes qu’elle assume. Le Palais de justice de Bruxelles en constitue un autre. Franc-maçonne, Marcelle Leroy est explicitement autorisée à enfreindre l’interdit communiste qui pèse sur la maçonnerie.

Ainsi le CMF semble bien multiplier les liens, et, sans doute, malgré des oppositions toujours présentes, pour un noyau important de ces militantes, il y a là un parcours qui scelle des engagements absolus et définitifs. Ce n’est certainement pas un hasard si l’on relève dans ses rangs tant de militantes de la clandestinité communiste sous l’occupation, tant de déportées (dont Marcelle Leroy, Fanny et Madeleine Jacquemotte, Marie Altorfer) et, plus curieux encore, plusieurs femmes actives dans l’Orchestre rouge.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le contexte de guerre froide ne permettra pas au « Rassemblement des Femmes pour la Paix » qui se voulait son continuateur, d’assumer effectivement son héritage.

Sources
RGASPI, Moscou, Archives du Komintern, Fonds 543, CMF ; Gotovitch J. (1989), « Femmes pour la paix : une nébuleuse laïque », in Mendès da Costa, Y. et Morelli, A. (dir.), Femmes, Libertés, Laïcité, Bruxelles, ULB, Bruxelles, p. 119-125 ; Histoire de la fédération belge du Droit Humain, Bruxelles, 1978. Jacques C. (2013). Les féministes belges et les luttes pour l’égalité politique et économique (1918-1968). Bruxelles, Académie Royale de Belgique.

Par José Gotovitch

 

 
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