Au détour d’une travée...

Le film "Non à l’aventure"
 

Un centre d’archives peut être comme un grenier aux mille trésors, recelant des documents inattendus et parfois oubliés. Une balade dans les dépôts du CArCoB permet de découvrir (ou de redécouvrir) au détour d’une travée des archives particulières. Ces découvertes procurent un peu la même sensation que lorsqu’on ouvrait la vieille malle aux trésors lors d’une incursion sous les combles des toits. Dans cette malle bien souvent, se trouvaient enfermés des objets, documents, photos,… nous permettant de soulever un coin du voile recouvrant le passé et esquissant une (ou des) histoire(s).

 


Pour cette nouvelle rubrique nous avons décidé, le temps d’un instant, de faire un retour au début des années cinquante avec le film « Non à l’aventure ». Produit en 1952 par le Parti Communiste de Belgique, il s’agit d’un film noir et blanc de 12 minutes, tourné en 16 mm. Celui-ci constitue une archive filmique intéressante pour quiconque s’intéresse à l’histoire internationale du début des années cinquante et à la prise de position du PCB face au projet de mise en place de la Communauté Européenne de Défense. A l’aide de marionnettes représentant certains acteurs de cet épisode de la construction européenne, les réalisateurs mettent en scène et retracent dans les grandes lignes les enjeux et l’opinion du Parti par rapport à la CED.
Fin des années 40, début des années 50, la coopération européenne se construit et se développe sur le plan économique et militaire, et ce dans un contexte de début de guerre froide. Dans cette période d’après-guerre, les blocs se forment peu à peu sur fond d’enjeux économiques étroitement liés à la reconstruction et aux influences politiques internationales. En Europe occidentale monte peu à peu la crainte d’une menace soviétique et communiste.
Plusieurs traités sont ratifiés dans ce contexte. C’est le cas notamment de l’OECE, du plan Schuman puis de la CECA, mais aussi de l’OTAN. En 1952, toujours face à cette peur d’une agression communiste et dans un contexte d’influence américaine, l’Europe occidentale voit poindre le projet d’une Communauté européenne de défense créant une armée commune intégrant plusieurs armées européennes. Parmi ces forces armées communes, l’on retrouve des soldats allemands. Mais voilà, le projet coince ! Ça coince, et pas seulement au niveau des milieux communistes occidentaux. Au-delà de tous les enjeux concomitants à l’influence et à la dépendance de l’Europe face aux USA, la possibilité d’un réarmement allemand sept ans après la fin de la Seconde guerre mondiale a du mal à passer. Aôut 1954. C’est finalement de la France que viendra une opposition définitive à la ratification du traité de la CED. Soulignons néanmoins que celui-ci avait été ratifié par la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne.
Lors de cette saga, on peut facilement s’imaginer la position du PCB. Influence grandissante des Etats-Unis, orientation économique vers le capitalisme et l’impérialisme, opposition au communisme et, cerise sur le gâteau, réarmement de l’Allemagne. La position est nette et sans appel comme nous le montre « Non à l’aventure ». Juché en haut de sa tour, Spaak préside une assemblée d’hommes politiques avec, à ses côtés, Truman et Adenauer. Le ton est donné par le dialogue mis en place :

 

«  Spaak  : J’ai peur, messieurs, j’ai peur. A notre porte fleuri un régime inique, basé sur le respect du travail, et qui interdit de vivre de la sueur d’autrui. Supporterons-nous un jour d’être privés de notre liberté individuelle ? Non Messieurs, volons au secours de nos portefeuilles. Organisons notre défense dans un total esprit d’indépendance.
Truman  : [En aparté] Pour l’indépendance de l’Europe rien de tel que les recettes américaines…
Spaak  : Reprenons une idée chère à un grand homme malheureusement disparu. Faisons l’Europe unie et donnons-lui une armée où la place d’honneur sera réservée aux nazis, SS et autres vétérans du front de l’Est. Derrière le rideau de fer grandit une terrible menace pour notre belle civilisation occidentale. Derrière le rideau de fer, une formidable armée se prépare depuis 10 ans à fondre sur nous ! Oui, à la seule pensée de ce qu’il se passe derrière le rideau de fer, je frémis. Il vaut mieux gagner la guerre avec des généraux allemands que de la perdre avec des généraux belges. Nous tenons à garantir aux travailleurs de chez nous, la garantie d’être mal payés, de chômer, et de mourir au fond de nos mines. Nous tenons à garantir aux industriels, le fruit de cet état de chose. Et si la Russie mettait une évidente mauvaise volonté à nous attaquer, l’armée européenne nous sera encore d’une grande utilité. Imaginez un peu que nos peuples prétendent tout à coup se gouverner eux-mêmes.
 »

 

Face à cette tablée de politiques en faveur de la CED, la base, le peuple ouvrier trimant dans les mines. Ces travailleurs, groupés autour du PCB présenté comme seul à défendre la paix en s’opposant à la CED, mettent «  hors d’état de nuire les capitalistes, banquiers et filous embarqués dans l’aventure européenne comme une bande de rats affamés dans un fromage. Ils mettent un terme à l’ingérence étrangère dans les affaires du pays. » U.S. Go home ! Le message est on ne peut plus clair. La construction et réalisation du film est parfaitement imagée et on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec le travail des dessinateurs et caricaturistes communistes.
Ce document filmique est intéressant non seulement du point de vue de l’histoire politique, mais il l’est tout autant quant à la communication du PCB, et la construction de son discours.

Amandine Verheylewegen
 

 
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